Hypothèse de l’invention du Rubab Afghan

Même si la forme du rubâb afghan évoque celle d’une vièle, il s’agit bien d’un luth à cordes pincées. L’histoire de l’instrument nous est encore inconnue, on sait juste qu’elle est rattachée aux populations pashtounes du sud de l’Afghanistan historique qui, mobiles, se déplaçaient entre les régions de Kaboul, de Peshawar et de Delhi. Selon les travaux d’Adrian McNeil, l’instrument serait arrivé au Nord de l’Inde entre les mains de Pashtouns du clan Bangashi. Le clan Bangashi était spécialisé dans le commerce des chevaux. Un grand nombre de familles de ce clan s’est sédentarisé dans la région du Rohilkhand, dans l’état de l’Uttar Pradesh, non loin de Delhi.

L'époque Gandhara

(Photographie : Détail du bas-relief MG 16999-Paris MNAAG, IVe siècle EC, Gandhāra, Pakistan. Collection Musée Guimet).

Beaucoup de musiciens afghans pensent que l’origine du rubâb afghan remonte aux luths représentés sur des bas-reliefs Gandhâras du IVe siècle de la région de Peshawar (Photographie : Détail du bas-relief MG 16999-Paris MNAAG, IVe siècle, Gandhāra, Pakistan. Collection Musée Guimet). En effet, les échancrures latérales font penser au rubâb afghan, mais une rapide analyse organologique montre que la table d’harmonie est en bois (indiquée par le fait que les cordes sont accrochées au chevalet et non à la base de l’instrument) et qu’il n’y a pas de cordes sympathiques (élément déterminant pour l’organologie du rubâb afghan).

L'époque moghole

(Image : miniature représentant un prince jouant d’un luth rubāb également nommé qobūz , réalisée par le miniaturiste Aqā Rezā en 1595, Museum of Fine Arts, Boston)

L’absence de représentation du rubāb afghan sur les miniatures persanes et mogholes interroge. En effet, aucune miniature persane ou moghole ne présente de rubāb afghan, ce qui laisse à penser que l’instrument, dans la forme que nous lui connaissons aujourd’hui, n’était toujours pas inventé durant toute cette période.

Une possible invention du XIXe siècle

(Photographie : rubāb/sarod, numéro d’inventaire 02020 IS, Victoria and Albert museum, Londres)

Le Britannique Mountstuart Elphinstone parle d’un rubāb vers 1808, mais il ne fait aucune description de l’instrument. Ainsi, il n’est pas possible de savoir s’il s’agit d’un rubāb afghan. La description que fait le Capitaine N. Augustus Willard peu avant 1825, ne nous permet pas non-plus de certifier qu’il s’agisse bien de l’instrument. En effet, il ne mentionne pas la présence de cordes sympathiques, alors qu’il note que l’instrument est joué au moyen d’un plectre épais.

Image : rubāb/sarod réalisé par François-Joseph Fétis en 1869

La première représentation graphique attestant pour la première fois l’existence d’un rubâb afghan est attribuée au compositeur et encyclopédiste belge François-Joseph Fétis en 1869 (Image : rubāb/sarod réalisé par François-Joseph Fétis en 1869). Elle aurait faite à partir de l’instrument présenté au pavillon des Indes lors de l’Exposition Universelle de 1855. Cet instrument se trouve au Victoria and Albert museum, à Londres, il s’agit du plus ancien rubāb afghan qui nous soit parvenu (Photographie : rubāb/sarod, numéro d’inventaire 02020 IS, Victoria and Albert museum, Londres). Il est donc possible d’avancer l’hypothèse que les cordes sympathiques, désignées en Afghanistan par sim-e tarab ou encore sim-e bajgi, ont fait leur apparition sur l’instrument entre 1825 et 1855.

L’invention des cordes sympathiques

Photographie : représentation de l’emplacement des chevilles des cordes sympathiques dans la structure du rubāb afghan

Bien que l’utilisation de fil en métal remonte à des temps reculés, son usage sur des instruments de musique est beaucoup plus récent. On sait que des instruments étaient montés de cordes en métal au XIVe siècle, c’est le cas du nuzha et du mugni, deux cithares sur table présentées par Hasan Kâshâni dans son Kanz al-Tuhaf dar musiqi. Les miniatures mogholes nous informent qu’il faudra attendre la fin du XVIIIe siècle pour voir apparaître les premières cordes sympathiques sur vièles sarangi, alors que le théoricien allemand Michael Praetorius en fait l’usage sur des vièles au début du XVIIe siècle. Nous pouvons avancer l’hypothèse que le principe de cordes sympathiques est déplacé de l’Europe vers l’Inde dans le courant du XVIIIe siècle. Cet élément vient appuyer le postulat quant à placer l’invention du rubāb afghan au début du XIXe siècle.

Le possible luth précurseur du rubāb afghan

Image : montage pour illustrer l’hypothèse de l’évolution du rubāb de Bichitr en rubāb afghan

La miniature moghole intitulée Musicien et derviche, réalisée avant 1660 par l’artiste Bichitr, présente un luth d’apparence similaire au rubāb afghan. L’instrument est désigné du nom du miniaturiste « rubāb de Bichitr » (Image : montage pour illustrer l’hypothèse de l’évolution du rubāb de Bichitr en rubāb afghan). L’apparence de l’instrument évoque aussi la morphologie du cikārā, un rubāb joué avec un archet ou un plectre. Le cikārā a une forme identique à celle aux vièles sarinda du Nord de l’Hindoustan, mais un manche est placé de l’autre côté du corps (Image : montage présentant la superposition des contours d’un cikārā sur le corps d’un sarinda). L’hypothèse que le rubāb de Bichitr se soit transformé en rubāb afghan, quant un luthier a eu l’idée de monter dessus des cordes sympathiques, est fort probable. Cette transformation ne nécessite aucun ajout ou de soustraction de matière, mais juste une déformation des volumes médian et inférieur.

Image : montage présentant la superposition des contours d’un cikārā sur le corps d’un sarinda

Image : montage présentant une comparaison morphologique entre le cikārā et le rubāb de Bichitr